Du 14 juillet au 4 aout 2016, La Galerie Le Basquiat accueille l’Exposition ‘Cent pour Cent Dadié’ de l’artiste peintre ivoirien Grah Poll. Comme promis, je vous reviens avec quelques réponses sur cette exposition après une rencontre avec Grah Poll qui s’est tenue ce mardi 19 juillet 2016 sur le lieu de l’exposition. Retour sur cette rencontre.

Grah Poll, un artiste qui repousse sans cesse ses limites
Grah Poll est un artiste plasticien et professeur en éducation artistique résident à Croutelle en France. Formé à l’École Nationale des Beaux-arts d’Abidjan et Limoges-Aubusson , il rend hommage à l’écrivain ivoirien Bernard Binlin Dadié à travers une installation et cent (100) portraits de peinture numérique. Cette exposition met en avant l’icône de la culture que représente Bernard Dadié qui a accessoirement reçu en début d’année le Premier Prix Jaimes Torres Bodet de l’UNESCO en récompense pour l’ensemble de son œuvre et sa contribution à la promotion du savoir et du progrès de la société par l’Art, les Lettres et les Sciences humaines en Afrique et dans le monde. Il faut noter que l’écrivain est le premier lauréat de ce prix.
@Originvl
Cent pour Cent Dadié : Exposition de peintures numériques de Grah Poll
La rencontre avec Grah Poll était tout ce qu’il y a de plus naturel : un échange simple où mes interrogations ont tout simplement été résolues. Revenons sur les éléments qui constituent cette exposition.
Les peintures numériques
- Le choix de Bernard Dadié : Grah Poll a souhaité faire une réflexion sur les icônes culturelles africaines et particulièrement ivoirienne. Il a donc choisi Bernard Dadié car ce dernier est une icône culturelle avec un parcours bien ancré dans ses convictions. En ce qui concerne l’image, c’est le regard captivant de Bernard Dadié qui a frappé Grah Poll. Effectivement, on a l’impression qu’il réfléchit, qu’il se projette avec son stylo et en ce sens qu’il est prêt à saisir l’opportunité, le moment et on a l’impression qu’il va se jeter sur sa feuille de papier pour déclamer un vers.
- La peinture numérique : Grah Poll indique qu’il préparait un autre projet artistique et qu’il s’est laissé prendre au jeu du numérique par un pur et simple hasard car il aime se surpasser et changer de médium artistique. Il s’est donc essayé à faire une toile un jour, puis une seconde et ainsi de suite. Son but originel est donc devenu de s’accaparer l’image et la rendre à la fois redondante mais unique dans l’univers. Nous avons ainsi 100 images, pour 100 ans, pour 100 expériences d’une vie artistique pleine et exceptionnelle. Ce qui nous inspire un rapport à l’image et à la vie sans cesse renouvelée car nous avons toujours la même personne mais avec des expériences différentes et multiples.
- Le côté expérimental du projet artistique : Ce projet de peinture numérique est intéressant car il s’agit d’une remise en cause du travail d’artiste de Grah Poll qui travaille originellement la peinture. Ici, il exploite un outil informatique qu’il ne maîtrise pas qui lui donne toutes les possibilités du hasard. En effet, dans la peinture, il maîtrise son doigté, ses couleurs, son mouvement… mais ici c’est différent. Il range ses pinceaux, quitte son atelier et s’installe devant un ordinateur, une souris et un logiciel. Grah Poll exploite donc l’improbable car il ne peut pas contrôler le résultat que le logiciel produira. Il s’essaie donc aux différents outils tels que le filigrane, les effets de peintures, la pixélisaton, le crayonnage, les floues, la netteté… avec l’innocence d’un enfant qui expérimente une nouvelle situation.
- La matérialité et l’immatérialité des œuvres : Nous savons tous que la notion d’Art est complexe car elle nous interroge sur la notion de matérialité et d’immatérialité de l’Art. L’Exposition ‘Cent pour Cent Dadié’ répond en quelque sorte à cette problématique. En effet, les peintures numériques ici réalisées sont des œuvres virtuelles qui n’hésitent qu’à travers du codage numérique et qui peuvent être visible qu’à travers un écran d’ordinateur. Elles sont immatérielles, insaisissables. Les rendre matérielles nécessite donc une réflexion sur la matière, le contenant et le contenu. Le choix du support et le type d’impression. Vous imaginez donc que si les œuvres avaient été imprimées sur toiles, elles auraient ressemblées à des œuvres classiques peintes sur toiles. Si elles l’avaient été en photo, nous aurions pu penser que les œuvres avaient été peintes physiquement puis photographiées… mais ici, les peintures numériques ont été imprimées sur du papier servant au support publicitaire ce qui leur donne le côté plus éclatant. Ce qui peut nous permettre de nous interroger également sur l’exploitation parfois abusive de l’image artistique dans la publicité au point de venir troubler les notions d’Art.
Plus qu’une exposition, une installation
L’exposition est agrémentée par une installation faisant partie intégrante avec le lieu dans lequel elle se situe. L’œuvre et le lieu sont un et indivisible.
Dans le cas de l’exposition ‘Cent pour Cent Dadié’, comme je l’ai dit lors de ma première visite, une partie de la Galerie est recouverte de sable et nous pouvons y voir une espèce de poubelle d’où sorte des tuyaux. Dans mon précédent billet que vous pourrez lire ici, j’indiquais que des sons sortaient des tuyaux mais pas que des sons.
En effet, l’installation n’est autre que l’illustration de la citation suivante de Bernard Dadié : « Les lignes de nos mains unissent les bouquets de nos rêves» issue de son poème les Lignes de nos mains. (que vous pourrez lire ci-dessous en entier).
En effet, le bouquet de fleurs est représenté par ce pot noir avec des tuyaux multicolores, les fleurs, desquels jaillissent :
- cette même citation « Les lignes de nos mains unissent les bouquets de nos rêves » déclamée en 20 langues ;
- différents parfums qui invitent au voyage.
Installé sur un parterre de sable, nous nous retrouvons en contact avec la terre pour rappeler l’ancrage de Bernard Dadié dans ses racines.
Ce pot de fleurs aux couleurs multicolores a donc quelques choses de globalisant dans le sens où il est une invitation au voyage à travers quatre (4) sens que sont la vue, l’ouïe, le toucher et l’odorat.
Tous nos sens sont convoqués pour un voyage, un rêve à travers tous les visages du monde, les senteurs du monde, les langues du monde, les couleurs du monde, ces couleurs arc-en-ciel qui pourraient nous faire penser au peuple arc-en-ciel (en référence aux Ethiopiens).
Grah Poll résume cette installation comme la matérialisation de l’unité des peuples qui peut aboutir à un même rêve de paix pour un monde apaisé.
Ce qu’il faut retenir de cette exposition
Grah Poll a montré sa capacité à renouveler son art à travers un médium artistique nouveau et différent. Cette expérience relevant de l’ordre de l’incertain et du certain, de l’illimité et du limité nous révèle une belle surprise car Grah Poll va chercher autre chose, il creuse plus loin pour nous surprendre.
Il est dans la logique de ces artistes qui remettent sans cesse en cause leur travail pour toujours renouveler l’expérience plastique et finalement donner un sens à la pratique artistique. Je précise bien à « la pratique » artistique pas nécessairement à l’œuvre artistique.
Par ailleurs, le fait de relier cette œuvre artistique à la culture est intéressant pour moi car je considère l’art et la culture comme des vecteurs de développement dans le sens où ils doivent nous permette de réfléchir sur notre condition de ‘matière’ matérielle et immatérielle dans l’univers.
Je vous invite donc à vous rendre à cette exposition qui n’est pas qu’une simple exposition de portraits comme j’ai pu déjà l’entendre. C’est bien plus que cela et pour tout vous dire, l’exposition mérite réellement le détour.

En attendant, bonne lecture du poème Les lignes de nos mains.
Les Lignes de nos mains
Les lignes de nos mains
ni Jaunes
ni Noires
ni Blanches
Ne sont point des frontières
des fossés entre nos villages
des filins pour lier les faisceaux de rancoeurs.
Les lignes de nos mains
sont des lignes de vie,
de Destin
de Coeur
d’Amour,
de douces chaînes qui nous lient les uns aux autres
les vivants aux morts.
Les lignes de nos mains
ni blanches
ni noires
ni jaunes,
Les lignes de nos mains
Unissent les bouquets de nos rêves.
Bernard Binlin Dadié