A Paris, Nú Barreto interpelle avec “Africa: Renversante, renversée”

La Galerie Nathalie Obadia présente Africa : Renversante, renversée de Nú Barreto du jeudi 8 novembre 2018 au Samedi 29 décembre 2018. Cette exposition est la première exposition personnelle de l’artiste  à la galerie. Elle traduit l’histoire bouleversante du continent africain à travers ses plaies, ses blessures et ses espoirs. 

Nú Barreto « Africa: Renversante, renversée »

Du figuratif à l’abstraction

 Né en 1966 à Sao Domingos en Guinée-Bissau, Nú Barreto est un artiste plasticien majeur de la scène contemporaine africaine. Dans son récent travail, il quitte le monde du figuratif avec ses Funguli Sapiens pour plonger dans l’abstraction. En effet, de l’univers habituel de Nú Barreto qui nous rappelle que même si nous marchons dans l’illusion que nous avons atteint un haut point de civilisation, nous sommes des créatures vulnérables, nous passons dans un monde abstrait. Mais ici encore, Nú Barreto nous invite à nous questionner sur la société et particulièrement sur l’histoire bouleversante du continent africain. Nous entrons dans la relation que les pays africains entretiennent entre eux et avec le reste du monde. L’Afrique, Berceau de l’Humanité? L’Afrique Berceau déshumanisé? Telle est la question.  

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C’est en 2009 que Nú Barreto entreprend un virage d’un point de vue technique. En effet, cette série d’immenses oeuvres mi-tableaux, mi-scultpures qui compose l’exposition Africa : Renversante, renversée nous invite à porter un regard différent sur l’Afrique. Ainsi en revisitant le drapeau américain sous les couleurs panafricaines à savoir le vert pour l’espoir, le rouge pour la douleur et le sang versé, le jaune pour la terre et le noir pour représenter les 54 nations. 

Afrique, terre de vandalisme 

Dès que l’on franchi les portes de la Galerie Nathalie Obadia, le ton est donné. Un drapeau paillasson intitulé Paill-Africa-Sson, est destiné à être foulé par nos pieds. Il fait résonance avec l’oeuvre nommé Vandalisme coloré. Un drapeau percé, piqué par une multitude d’épingles. Il matérialise la douleur et la souffrance des populations. Ainsi, à travers ces deux toiles, Nú Barreto nous interpelle sur le regard que l’on porte sur l’Afrique. C’est une terre, dite “Berceau de l’Humanité” mais une terre que l’on souille, piétine, vandalise… et ceci en pleine conscience. 

Humains déshumanisés 

Une oeuvre nous interpelle. Nommée Eventrée, on y apprécie une carte de l’Afrique découpée dans la toile. On y voit inscrit “Des êtres” pour matérialiser le rapport que l’on a avec soi et avec les autres. C’est une oeuvre qui nous invite à intégrer le fait que nous ne sommes pas tant différents les uns des autres. C’est pourquoi, Nú Barreto y a ajouté au centre en bas, un espèce de gri-gri composé notamment de mini éprouvette de prise de sang avec une flèche qui pointe vers le sol. Une métaphore artistique pour nous rappeler que nous avons tous le même sang et que nous retournerons tous à la terre. Ainsi, les populations vivant en Afrique ne sont pas plus inhumaines que celles des autres continents. Elles méritent également de l’importance.

Entre dénonciation et résilience 

Eventrée porte, par endroit, des impacts de balles. Des douilles que l’on retrouve sur la toile voisine intitulée Yako. Elle est imposante, et frappante par sa violence. Elle est criblée de balles, éventrée par endroit, avec des plaies béantes pleines de douilles. Le rouge de la toile nous donne une impression de douleur et d’horreur. D’ailleurs, les murs qui l’entourent sont eux aussi criblés de balles… Cette oeuvre est une synthèse de la violence qui règne sur le continent  à travers les guerres, génocides, violences faites aux enfants, femmes et hommes… mais savoir qu’elle s’appelle “Yako” apporte une forme de résilience. En effet, “Yako” est une expression utilisée en Côte d’Ivoire pour manifester sa “compassion” dans la douleur. C’est une façon d’exprimer ses condoléances et d’apporter une marque de respect aux défuntes personnes et notamment au continent tout entier.

Yako résonne avec la toile intitulée Ossements. Sur cette dernière, chaque étoile se voit attribuer son lot d’os. On comprend que Ossements est le résultat de Yako. Ce sont des os d’animaux qui ont été amoncelés pour symboliser les ossements humains. Une oeuvre qui refroidit quelque peu car elle matérialise ce que l’on ne veut pas voir derrière les conflits armés, les génocides et autres guerres qui frappent l’Afrique. Sa disposition dans la galerie, dissimulée derrière un grand mur, pour donner un aspect intimiste, est une façon de nous inviter au recueillement. 

De la dépendance, de l’interdépendance et de l’espoir 

La toile Ca va aller va dans le même sens. Elle tire son nom d’une expression que les africains utilisent souvent comme pour accepter la fatalité de la vie. Une façon de toujours voir le bon côté des choses malgré les difficultés que l’on peut rencontrer. C’est une toile qui traduit la résilience des peuples africains. Elle est composée d’un ensemble de toiles cousues et est parsemée de gri-gri avec des cauris. Ces derniers sont la manifestation de la valeur monétaire et d’échanges du continent. On nous rappelle que l’Afrique reste, malgré tout, riche de ses ressources et de ses valeurs profondes. Et cette richesse attire tous ses maux.

Ce n’est donc pas étonnant de trouver en face de cette toile, une sculpture géante. On apprécie un drapeau porté par 3 piliers portant la mention Bailleurs – Pro -Fonds. Un nom qui traduit la dépendance ou l’interdépendance de l’Afrique avec les nations extérieures. Message également matérialisé dans l’oeuvre appelé Déracinée. Dans cette installation, les étoiles sont détachées de la toile. Elles sont suspendues. Une façon de nous souffler que les états africains sont des états gérés. Certains résistent tandis que d’autres abandonnent. Ils sont ainsi laissés pour compte et abandonnés à leur propre sort…. 

 

 

Cependant, il reste de l’espoir. Cette note d’espoir vient avec la toile intitulée La Source . Elle est parsemée d’une centaine de livre d’auteurs francophones africains. Cette source inépuisable et intarissable de savoirs est un symbole fort de l’émancipation attendue du continent. En effet, on peut y trouver des ouvrages d’écrivains plus ou moins connus, de l’ancienne et de la nouvelle génération. C’est donc un pur clin d’oeil de valeurs culturels, en positionnant l’Afrique, le Berceau de l’Humanité comme la source du savoir dans le monde. On peut citer Bernard Dadié, Cheick Anta Diop, Léopold Sédar Senghor, Alain Manbackou, Hampaté Ba, Gaël Faye avec des ouvrages pertinents tels que Black Bazar, Le Néo colonialisme, L’enfant noir… et au milieu, Pour une Afrique libre de Ngugi wa Thiong’o comme pour nous lancer un message… 

Ainsi, cette exposition nous interpelle. En effet, chaque toile nous fait sortir de notre zone de confort et nous invite à la réflexion. Quel regard portons nous sur l’Afrique ?  

L’exposition est accessible jusqu’au 29 novembre 2018 à la Galerie Nathalie Obadia, 3 Rue du Cloître Saint-Merri, 75004 à Paris, France. 

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