Le 21 octobre 2016, le Cameroun a vécu un drame : le déraillement du train Yaoundé-Douala faisant de nombreux morts et blessés et soulevant de nombreux débats. L’écrivaine Geneviève Ngosso Kouo a laissé sa plume parler en nous proposant un poème très touchant. Je vous invite à le découvrir en mémoire à toutes les personnes qui nous ont quittés.

T’es – tu
Ce matin
levée
Aux aurores
Comme à ton habitude ?
Car je sais
Et tu l’as toujours dit
Que
Tu aimes devancer l’aurore
Mais qu’as-tu fait maman ?
Oui finalement
Qu’as-tu fait ?
L’as-tu fait ?
Et
Où es – tu ?
Le train de Yaoundé
depuis longtemps
Est arrivé Il me semble
Mais toi
Où es-tu ?
Qu’as tu fait , maman ?
Où es -tu descendue ?
Dis-moi ?
Oui où ?
As – tu oublié
Que je t’attends ?
Oui
Maman
Je t’attends
Tu le sais
Comme toujours
Avant l’heure
Je suis arrivée
Arrivée à la gare
La gare de Bessengué
Malgré les embouteillages
Tu me connais
Tu sais que
Pour toi
Moi aussi
Je devance le temps
Pour être présente
Présente à toi
A ton arrivée
Car pourquoi
Oui comment
Oserai – je
Te faire attendre ?
Toi
Ma mère ?
Tu sais que je t‘ai juré
Oui
Juré
Promis
Que chaque fois
Oui chaque fois
Que je viendrai
T’attendre
Très tôt j’arriverai
Pour devancer l’heure
L’heure d’arrivée du train
De ton train à toi
Maman
Même s’il arrivait
Même s’il devait arriver
Bien plus tard que prévu
Oui bien plus tard
Sans que personne
Oui je dis bien
Personne
Ne se préoccupe
De me dire
Oh non, de dire
A tous ceux qui
Comme moi
Attendent aussi
Les leurs
Que le train
Qui pour moi
Est ton train
S’en est allé
Vers la gare
D’un autre ailleurs
Mais
De toute manière
Et
Quoi qu’il en soit
Moi
Ta fille
Je reste là
Oui, Je resterai là
A scruter l’horizon
A épier
Tous les sifflements
Les sifflements
De
Ton train
Parti de Yaoundé
Pour Douala
En passant par
Eséka
Mais
De guerre lasse
La tête vide
Les yeux hagards
Les jambes flageolantes
Les yeux embués
De larmes
Larmes sèches
La gorge nouée
Et
Des coliques
Plein le ventre
Je me surprends
A m’endormir
Là
Sur la banquette
Oui je dors
Au point même
De rêver
Mais
Un rêve éveillé
Me croyant
M’imaginant
Dans mon lit
Mon confortable lit
Et non sur cette banquette
Si dure
Que j’en sors
Toute courbaturée
Là
A la gare
La gare de Bessenguè
Bessnguè
A Douala
C’est bien là
Que je t’attends
Maman
Ma mère chérie
Toi qui m’as donné la vie
Tu le sais
Que je suis là
Que je t’attends
Depuis vendredi
Maman
Depuis
Un
Deux
Trois jours
Peut-être même plus
Je n’ai plus conscience
Conscience de rien
Et toi
Tu n’arrives
Toujours pas
Dois -je
Pour autant
M’inquiéter ?
Dois – je
Pour autant
Paniquer ?
Ou
Me décourager ?
Et
Rentrer à la maison ?
Sans espoir aucun
De te voir arriver ?
De te revoir ?
Non
Parce que je sais
Iyo,
Que tu m’aurais dit
De persévérer
Alors
Je t’attends
Je sais que tu viendras
Deux jours déjà
Que je suis là
Deux jours ?
Ou trois ?
Ou même plus ?
Je ne sais plus
Je te l’ai déjà dit
Que
Ma mémoire
Soudain
Défaille
Alors en sursaut
Je me réveille
Non
Je suis réveillé
Par ce vigile
Qui soudain
Violemment
M’apostrophe
Qui me dit
D’aller
Cuver mon vin
Ailleurs
Que
Sur cette banquette
Cette banquette des plus dures
De la salle des pas perdus
De cette gare
La gare de Bessengué
A Douala
Non je n’ai pas bu
Mon frère
Mais subitement
Toujours avec violence
Ce frère me traite
De fou,
De délinquant
De subversif
Me disant
Ah Mouf mi dè
Moi
Je le regarde
Je ne bronche pas
Je lui dis
J’attends ma mère
Mon frère
Elle arrive par le train
Le train de Yaoundé
Qui passe par
Eséka
Vous savez
Eséka
A soixante kilomètres
De Yaoundé
Yaoundé la capitale
Elle est partie la-bas
Toucher sa retraite
Pour la ènième fois
Et
Pour la ènième fois
Son dossier
Oui son dossier
De nouveau
Est resté introuvable
Lui a-t-on dit
Quel manque d’égards
D’empathie
Quelle tristesse
Quelle lassitude
Soudaine
Pour toi
Iyo
Pour toi maman
Qui a travaillé
Toute ta vie
Et qui attend
Sans savoir
Quand ton dossier
Aboutira
Alors subitement
Me vient
De nouveau
Elle
Me taraude
As-tu maman
Ce jour – là
Bien devancé l’aurore ?
Ou t’a-t-on
Finalement
Eue à l’usure
Au point que
Tu te sois
Plutôt endormie
Sans force aucune
Tout d’un coup
Oui
Sans force aucune
Pour sacrifier à ton rituel
Celui
De devancer l‘aurore ?
Je t’imagine
Toujours
Sans force aucune
Tel un zombi
Montant dans ce train
Toujours
Comme un zombi
Te dirigeant dans cette loco
Cette loco
Branlante
Cette loco
Folle
Cette loco
Mangeuse
D’hommes
De femmes
D’enfants
Qui n’était pas
Assurément pas
Celle
Qui t’était destinée
Je te vois
Allant y rencontrer
Les ravins
D’Eséka
Et non la gare
La gare de Bessengué
Bessengué à Douala
Oui
Je te vois
Tel un zombi e
Le Zombie
Que tu étais devenue
Ne laissant aucune chance
Vraiment
Aucune
A ces braves populations
D’Eséka
Malgré
Toute leur empathie
Et
Toutes
Leurs tentatives
De te sauver
Mais moi
Maman
Je reste là
Parce que je t’attends
A la gare
La gare de Bessenguè
Comme d’habitude
Bessenguè à Douala !
MAMAAAAAAAAAN !

Biographie
Geneviève NGOSSO KOUO est universitaire, traductrice et écrivain qui a enseigné à l’Université nationale du Gabon, à l’Ecole Normale Supérieure d’Abidjan (Côte d’Ivoire) et a travaillé comme traductrice au Bureau régional de la Banque Mondiale à Abidjan. Elle a également été consultante pour la Banque africaine de développement (Abidjan) et le bureau régional de la FAO, à Accra, Ghana.
Auteur d’un premier roman intitulé, Une femme un jour. Son deuxième roman, il faisait nuit à Somorria est en attente de publication aux Editions CLE à Yaoundé. Son troisième recueil : Ces célèbres inconnues : Africaines du temps colonial chroniques et portraits : tome 1 Le Cameroun sera publié au premier trimestre 2017 (en français et en anglais)
Geneviève NGOSSO KOUO est également spécialiste des problèmes de genre.
Svp comment contacter cet auteure. Cordialement
Bonjour,
Nous vous avons transmis un mail.
Très bonne journée et doux réveillon à vous !