Le Festival International de Danse “Un pas vers l’avant” s’est tenu du 5 au 17 septembre 2016 à Abidjan. Il s’est clôturé par deux séries de spectacles de danses. Le premier s’est tenu le vendredi 16 septembre 2016 à l’Institut Français et le second, le samedi 17 septembre 2016 au Goethe Institut. Voici mon retour sur le second spectacle avec des photos de Laurent Diby.

Le spectacle a commencé avec une minute de silence en hommage à Henrike Grohs, ex Directeur Général du Goethe Institut qui a perdu la vie dans les attentats de Grand-Bassam le 13 mars 2016. Elle a été une des parties prenantes dans l’organisation de ce Festival International de Danse “Un pas vers l’avant” et les artistes tenaient à lui rendre hommage le temps d’une soirée.

« Fugen » de Isabelle Schad (Allemagne)
A l’issue de cette minute de silence, le spectacle commença avec “Fugen” de Isabelle Schad venue tout droit d’Allemagne. Le spectacle “Fugen” est pour moi une histoire autobiographique puisque dès le départ, l’artiste nous indique que ce spectacle lui est venu des suites d’un accident que sa mère a failli faire. Or cette dernière est à la base de son enseignement artistique. Elle nous raconta donc son histoire au travers d’une prestation sur le rythme, le mouvement, les vibrations et la répétition autour du sujet qu’est l’artiste.
Entre les longs moments de silence, jaillissaient la musique classique, les bruitages sonores et des textes clairement orientés sur le mouvement et le rythme. Ce spectacle, très calme, nous interroge sur le “mouvement” dans la discipline de la danse avec la notion de visibilité et d’invisibilité de la danse à travers le “mouvement” du sujet et les notions de “mouvement” à travers les objets et la mise en “mouvement” du sujet. Mais en définitive, le spectacle est orienté sur le sujet : c’est lui qui joue avec la visibilité et l’invisibilité du mouvement qui génère la danse à travers les rythmes, les vibrations, les répétitions et l’animation des objets et accessoires utilisés en plus du corps du sujet qui est tantôt considérés comme un objet.
« Les larmes de la veuve » de Aicha Kabore (Burkina Faso)
Ce spectacle parle du veuvage. Le silence était encore le “Maître mot” et les seules choses que nous avons à pouvoir partager étaient la douleur, la souffrance et la colère à travers ce que l’on pourrait appeler les étapes du veuvage. Cette danse silencieuse était le manifeste de la souffrance et du désarroi qui envahissent la veuve dans ce moment difficile. Tous les mouvements étaient rythmés par les larmes que l’on ne voyait pas mais que l’on imaginait et par la douleur et la difficulté de respirer et d’accepter l’impensable: la perte de l’âme sœur, de la moitié, de l’ami, du partenaire.
Ce que j’ai beaucoup aimé : le jeu sur le silence et la force qui s’en dégageait m’a beaucoup touché car le veuvage est un sujet difficile pour les femmes notamment en Afrique où ces dernières ont souvent du mal à s’extirper de pratiques traditionnelles fortement enracinées.
« On ne coupe pas » de Graines de Danseurs (Mali)
Ici nous sommes dans un spectacle très axés sur la rythmique et la création du rythme d’abord avec des instruments puis à travers la danse sur scène. Le corps fait un avec le rythme puis le bruit disparait et le corps continu ce mouvement répétitif sans bruit mais finalement avec le bruit puisque notre subconscient a associé le mouvement répétitif au bruit. C’est l’effet que j’ai vécu comme une continuité de l’action répétitive.
De façon plus technique, nous avons eu une traduction moderne des mutilations physiques et psychiques imposées au nom des lois de dieu dans certaines contrées à travers notamment les amputations physiques subis par les femmes. Je pense pour le premier à l’invasion du Mali par des extrémistes religieux depuis 2012 et pour le second aux viols subis par les femmes comme arme de guerre et également à l’excision. Les bouts de bois, ces objets qui imposent le rythme mais qui servent également de matérialisation des armes et des mutilations sont omniprésents dans la scène. Le danseur porte un voile qui nous rappelle les hommes du Sahel. Mais à la fin, l’homme perd son voile et se retrouve à danser avec ses quatre (4) longues tresses de quatre (4) couleurs différentes : le noir, le blanc, le rouge et le vert. Ces couleurs sont les couleurs qui caractérisent le monde Arabe. Je me suis donc interrogée et j’en suis arrivée à cette conclusion : pour moi ce spectacle pointe du doigt les dérives qui peuvent être faite de l’exploitation d’une culture ou d’une religion.
J’ai beaucoup aimé l’enchainement des spectacles. Effectivement, le fait d’avoir mis Isabelle Schad en premier m’a permis de porter un autre regard sur les prestations qui ont suivies.
Les notions de mouvements, de rythmes et de vibrations ayant été intégrées ainsi que celle du sujet m’ont amené à repositionner à chaque fois le sujet au sein de sa mise en scène avec tout ce qu’elle comportait en terme d’objets, de sons et d’occupation de l’espace. Et ce qui est amusant, c’est que tous les danseurs étaient à chaque fois seuls mais très présents sur scène. Les musiques étaient paisibles tantôt douce, tantôt cadencées et répétitives mais toujours non agressives. J’ai vraiment aimé ce spectacle, il était posé et nous invitait à l’introspection et à notre rapport à de nombreuses situations et blessures personnelles et communes.