Un artiste ne dit pas qu’il est artiste. C’est dans tes yeux que je deviens un artiste. Je raconte une histoire à travers mon monde qui prend forme dans ton regard” – Ly LaGazelle.
J’ai rencontré Ly LaGazelle en prélude de son exposition qui se tiendra ce mercredi 28 juin 2017 dès 19h au Bao Café dans le cadre de Cité des Arts #3. Une de mes plus belles rencontres de 2017. Vous le découvrirez à travers ces quelques lignes, une belle personne, un exemple de femme courageuse qui nous rappelle qu’il faut se donner les moyens de réussir tout en respectant les étapes que nous imposent la vie. Merci à Eline Arnaud de nous ramener une de nos pépites au pays.
1. Bonjour Ly LaGazelle, pouvez-vous vous présenter en quelques lignes ?
Je suis Lissa Phillis à l’état civile, et je n’aime pas beaucoup utiliser mon nom d’état civil d’où Ly LaGazelle. Mais pourquoi Ly LaGazelle ? Les gens me demandent souvent de l’expliquer. A la base, mon père m’appelle « Lili » et mon nom d’enfance a toujours été « Ly » dans ma famille. Et ma mère m’appelle « La gazelle » parce que j’ai un deuxième prénom, Tabitha, qui signifie « la gazelle » en hébreux. Du coup jusqu’à maintenant ma mère m’appelle « La gazelle » et étant donné que j’évolue dans un pays maghrébin, le Maroc, la plupart des femmes noires sont appelées « La gazelle » mais avec une connotation péjorative. Ce nom ayant déjà été déposé, j’ai décidé d’attacher le Ly à LaGazelle pour en faire un seul nom : « Ly LaGazelle ». Ce nom reflète mon identité car c’est un rappel de mon prénom Tabitha qui dans la Bible traduit les vertus d’une personne généreuse et ouverte sur l’humain. Par conséquent, Ly c’est pour mon père et LaGazelle, pour ma mère. Et LyLaGazelle est pour moi le reflet le plus vrai de ma personnalité.
Mes deux parents sont photographes mais je n’ai pas pris l’amour de la photo chez eux. Pour dire vrai, je n’avais jamais imaginé devenir photographe un jour mais j’avais toutefois la passion de la photographie tout comme celle du voyage et de la découverte. J’ai toujours eu une soif de culture et découvrir d’autres horizons m’a toujours interpellé. Cette curiosité m’a poussée à découvrir d’autres cultures. J’ai commencé par voyager dans la sous régions, qui m’était accessible financièrement, mais j’ai opté pour le Maroc de façon involontaire. J’ai découvert ce pays par l’intermédiaire de copines qui étudiaient là-bas. J’y allais en vacances en tant que touriste et quand en 2007 les prémices de la crise ont commencé, j’ai commencé plutôt à m’intéresser à l’Asie et au Moyen Orient pour immigrer.
En 2009/2010 avant de quitter la Côte d’Ivoire, j’ai été victime d’une agression où l’on m’a vidé toute ma maison. J’ai tout perdu et j’avais besoin de souffler. Jai décidé de partir à Dubai. Au retour, mon avion a fait une escale à Casablanca car notre aéroport (Abidjan) était fermé. Les 2 jours se sont transformés en 1 semaine. Puis on nous a invité à chercher des solutions auprès de parents éventuellement installés au Maroc. Je décide donc à ce moment d’appeler des copines sur place et voilà comment je reste au Maroc. Je n’avais malheureusement pas de nouvelles de ma famille. J’ai tout de même réussi à avoir mon père qui m’a conseillé de rester au Maroc.
J’ai aimé ce pays très vite et j’ai su que c’était le pays qu’il me fallait, d’autant plus qu’il est ouvert à l’art. J’étais dans un nouvel esprit. En effet, je venais de tout perdre à Abidjan et c’était un nouveau départ. Je m’installe et je commence à travailler dans une compagnie européenne qui vendait des logiciels informatiques. J’étais au recouvrement mais je ne me retrouvais pas. J’ai fait des études de Banque, mais j’ai finalement toujours travaillé dans la communication en apprenant sur le terrain. Je suis vraiment autodidacte. J’ai donc commencé un nouvel emploi, mais cette fois-ci dans le domaine de la communication.
2. Vous venez de nous expliquer votre parcours, mais on a du mal à saisir d’où vient votre passion pour la photographie? Pouvez vous nous racontez cette rencontre avec la photographie ?
En 2007, lors du Festival des Arts Visuels d’Abidjan (AVA) initié par la Fondation Donwahi, j’ai travaillé pendant une semaine durant cet événement en tant qu’hôtesse. Je présentais les œuvres d’art aux visiteurs, en leur expliquant leurs caractéristiques. J’ai eu mon déclic lors de cette manifestation. C’est vrai, j’aimais déjà la photographie de part les influences de mes parents, mais sans y accorder de l’importance. Et lors de ce festival, je suis tombée sur une œuvre autobiographique de Pascal Heranval en blanc et noir. Cette œuvre m’a touchée car elle me faisait penser à mon histoire. C’était une photo qui avait du sens pour moi et je me suis dit qu’il fallait que je me lance. J’ai donc eu des séances d’échanges et de discussions avec lui. Il m’a motivée et encouragée. C’est donc riche de cette rencontre que je me suis retrouvée au Maroc par le concours de circonstance expliqué précédemment.
Au Maroc, j’ai commencé à travailler tout en prenant des cours en ligne en vue d’acquérir des compétences photographiques. Je suis donc passée par beaucoup de corps de métiers : recouvrement, conseil client, blog, télé-conseil… et à un moment j’ai vraiment eu envie de créer ma propre structure pour me mettre à mon compte. Et c’est là où tout à basculer. Je monte une entreprise avec mon associé et je perds tout. Et je me retrouve face au mur, face à moi-même. Je réalise que j’ai déjà affronté de nombreuses choses dans ce pays, que ce soit le racisme, le coût de la vie, le manque de solidarité… et un jour, j’ai échangé avec une amie, Jessica, qui est aujourd’hui plus qu’une amie, c’est une sœur. Elle m’a demandée ce que je voulais faire. Je lui ai dit instinctivement de la photo, tout en rejetant le projet, en me disant que je n’avais aucun point de départ. Elle m’a rassurée et m’a encouragée à me lancer. Mais je ne me sentais pas prête. Je tournais en rond. J’ai acheté mon matériel et je continuais à voyager. Mais fin 2013/2014, j’ai pris la route et traversé tout le Maroc en voiture pour regagner la Côte d’Ivoire en passant par le Mali et la Mauritanie. J’ai traversé le désert au sens propre comme au sens figuré. Et lorsque je suis rentrée à Abidjan, j’ai réalisé que j’étais prête.
Ces rencontres avec les Touaregs berbères dans le désert qui vivaient de leur art en toute simplicité et avec passion m’ont donné l’envie de me lancer.
Je suis donc repartie au Maroc et j’ai commencé mon activité de bloggeuse dans l’art. Je faisais la promotion de tout ce qui avait un rapport avec les arts et la culture, que ce soit les lieux culturels, les espaces, les artistes ou les artisans. Tout ce que je trouvais sur ma route, faisait l’objet d’une présentation. Ce blog m’a permis de créer mon carnet d’adresse et j’ai été introduite auprès du Directeur du Jardin Anima, Monsieur Gregor WEISS. Il recherchait une personne pour la gestion des médias sociaux et me demanda si je faisais de la photographie. Je me suis donc occupée de la communication de ce jardin de 7 hectares qui abrite les œuvres de grands artistes, tels que Picasso ou Rodin. Un magnifique endroit.
Cette allusion à la photographie de M. WEISS, je ne le savais pas, était en fait le début de mon aventure en tant que photographe. C’est à ce moment là que j’ai compris le sens de la citation « Aides toi et le ciel t’aidera ». En effet, si tu ne te donnes pas les moyens, les énergies ne seront pas déployées pour que tu rencontres la personne idéale qui te tirera vers le haut. Je m’épanouissais et renaissais de mes cendres. Et un jour, M. WEISS me proposa de couvrir photographiquement les événements qu’il organisait. C’est dans le cadre du débriefing d’un événement organisé en marge de la COP 22, qu’il me demanda de lui présenter des œuvres que j’avais réalisées en dehors du travail. Je lui ai montré la photo qui m’a révélée. Elle s’intitule « Open Mind ». C’est celle d’un cadenas pour ouvrir ton esprit pour comprendre.
Il m’a demandé si un sujet pouvait m’intéresser. Je lui ai indiqué que j’avais mis de l’argent de côté et acheté mon matériel et que je partais à la fin du mois de décembre en Birmanie, à la rencontre de la culture Bouddhiste et qu’à mon retour on en rediscuterait. C’est comme ça que mon aventure avec la photographie a débuté.
3. Comment définissez vous votre technique?
Je définis ma technique comme étant de la photographie documentaire. Lorsque je suis partie en Birmanie, j’ai découvert la culture Bouddhiste, j’ai rencontré un autre monde et je me suis retrouvée avec mon histoire, mon vécu. Quand je suis rentrée au Maroc, j’ai décidé d’exposer « les mains ». Les mains des ouvriers, les mains silencieuses, les mains qui travaillent dans les champs. Ces mains qui parlent d’elles mêmes, qui sont le reflet de nos conditions de vie.
Mes photos ne sont pas calculées, je les prends de façon instinctive. Je capture l’instant présent, le moment, l’expression qui m’émeut. Lorsque je suis derrière l’appareil photo je ne suis plus moi même. Je suis autre, je m’exprime.
Le noir et blanc est une technique qui m’émeut depuis ma rencontre avec Pascal Heranval. C’est un médium que j’adore car il permet de mieux valoriser les détails et le grain de la photo.
La méthode du HDR entre l’argentique et le numérique est aussi une technique que j’apprécie beaucoup car elle valorise mieux les gris.
Concernant, les critiques que j’ai pu avoir de ma première exposition, les experts, notamment provenant du Quai d’Orsay et de Chez Magnum, ont indiqués que mon travail leur rappelait des œuvres de Coudelta, Sebasto Salgado ou encore Seydou Keita. Ils ont caractérisé mon travail de photos « humaines » c’est-à-dire des photographies qui parle de l’homme.
4. Cité des Arts #3 : Expo Instinctiv’ : Pouvez vous nous en dire plus sur cette exposition ?
« Instinctiv’ » est un moyen pour moi de présenter une partie de mon histoire personnelle et photographique dans mon pays d’origine. Un retour aux sources facilité par A’Lean & Friends et le travail collectif d’organisation abattu ces derniers mois pour l’organisation de l’exposition. En effet, comme je le disais auparavant, je fais tout de façon instinctive en vue de présenter un ressenti et une sensibilité. J’espère que cela vous touchera.
5. Que pensez-vous de l’avenir des arts en Afrique et plus précisément en Afrique noire ?
Les plateformes africaines sont riches de talents. Elles bouillonnent. En Afrique noire, beaucoup d’artistes travaillent en silence, de façon autodidacte car les plateformes de promotion ne sont pas nombreuses et ne permettent pas nécessairement de les mettre en valeur. Seules les initiatives privées commencent à stimuler considérablement le marché et les personnes qui s’investissent dans ce travail de promotion sont à encourager.
6. Quelle différence notable constatez vous entre le dynamisme des plateformes artistiques ivoirienne et marocaine ?
La plateforme marocaine est l’une des plus dynamiques. Il y a un vivier d’artistes et de promoteurs publics et privés. Des personnes talentueuses peuvent avoir la chance comme moi, d’être repérées et encouragées dans l’expression de leur talent. Il serait intéressant que l’expérience marocaine puisse servir à la Côte d’Ivoire.
