
La LouiSimone Guirandou Gallery accueille du 7 décembre 2018 au 26 janvier 2019 l’exposition collective Matière Transparente. Alun Be et Jean Servais Somian, par leur créativité, nous invitent à un débat purement philosophique du visible à l’invisible pour une quête de sens.
Du visible à l’invisible : la quête de sens
L’expression artistique comme prise de conscience
Et si la conscience pouvait exister sans avoir besoin du support du cerveau? Et si la conscience pouvait s’échapper du corps, de la matière mais aussi de l’espace et du temps? Telle est la question philosophique que nous inspire l’exposition “Matière Transparente”.
En effet, les deux artistes dans leur démarche artistique utilisent le vide comme matériel. Ainsi, tandis que, Alun Be manipule son appareil photo en cherchant les fuites de lumière à travers sa lentille transparente, Jean-Servais Somian nous invite à un jeu de lumière et transparence avec des pièces uniques taillées dans du bois de cocotier ou de fromager. Le point commun entre les deux hommes : l’architecture.
L’invisible comme matériel
L’aventure entre les deux artistes est née durant la biennale de 2018. En effet, ils ont partagé un espace entre l’architecture et le design. Alun Be présenta une série de moucharabieh. Ce sont des ouvertures utilisées en architecture pour laisser passer la lumière et l’air et ainsi apporter un certain confort malgré les fortes chaleurs. Le vide est donc perçu dans sa démarche comme un matériel. Jean Servais Somian confronta ses réalisations en bois de cocotier, elles aussi aérées et ajourées… C’est le début d’un dialogue. Celui du vide et de la transparence, du vide comme révélateur de la matière avec des pièces aérées comme pour rafraichir les pensées. La conversation architecturale invite à une prise de conscience des problématiques de construction pour une réintégration des problématiques naturelles dans la conception.
On comprend donc toute l’idée et l’importance de l’invisible. C’est pourquoi Alun Be explique que l’invisible est le lieu où nous puisons toutes nos idées, c’est le néant, c’est la matière noire : l’univers, la voie lactée, astrale, l’univers, le trou noir…
La conscience doit-elle être visible pour prendre corps ?
Cette réflexion sur le trou noir nous projette dans la chambre noire. Alun Be nous confie qu’il a commencé la photo à l’âge de 12 ans. Il prenait l’appareil photo de sa maman avec les pellicules noir et blanc pour matérialiser les choses de façon intemporelle. Par la suite, il est devenu l’assistant photo du laboratoire de photo de l’établissement où il a fait ses études en architecture aux USA. Il a appris sur le tas, changeait les liquides, développait de nombreuses photos au point d’en perdre ses empreintes digitales à certains moments. Dans la chambre noire, la matière n’existe pas. L’invisible est partout présent. Enfermé, dans une zone presque méditative, il est dans le noir, au calme, et son attention est captivée. L’invisible laisse apparaitre le visible. La conscience prend vie par la concentration et la mise à jour de la lumière. Ainsi de l’obscurité, de l’invisible, jaillit le visible…. L’artiste poursuit ce partage d’expérience à travers cette réflexion : “Comment écrit-on avec la lumière au 21ème siècle ? “

Question qui nous emmène à nous demander si nous pouvons capter et matérialiser la lumière et le vide. Et si c’est le cas, comment pouvons nous le faire? C’est là qu’intervient le débat entre la conscience et l’inconscience, entre le visible et l’invisible ou encore entre le matériel et l’immatériel. Mais que choisir ? Alun Be, répond que “La culture est beaucoup plus importante que le matériel. On libère les esprits et on peut puiser à la source pour se développer. L’inconscient est une voie vers la prise de conscience”….
Afrique consciente ? Afrique inconsciente ?
Comme expliquée précédemment, les photos de Alun Be dialoguent avec les meubles de Jean Servais Somian. Une chaise taillée brut dans un tronc d’arbre est brulée, une bibliothèque-masque à pics hérisson, un banc taillé dans une pirogue, une série de 4 chaises vides presque en lévitation… répondent à une série de photos dont certaines sont tirées des projets Edification et Empowering Women.
De la renaissance avec Alun Be

Les 4 séries de photos présentées par Alun Be permettent de découvrir le travail de l’artiste présenté pour la première fois en Côte d’Ivoire. Le fil rouge de ces différentes photos est “la renaissance” que l’artiste vit profondément dans son regard sur l’Afrique. Cette Afrique où l’on trouve l’une des plus belles lumières, au sens propre comme au sens figuré. Cette Afrique de l’abondance, de la fertilité, de la création, des femmes dynamiques. Cette Afrique comme socle, comme base. Une Afrique qui bouge et fait bouger les lignes de l’invisible dans un monde en constante mutation.
Des actions silencieuses et invisibles aux changements structurels et structurants, c’est de cette renaissance que Alun Be fait l’étalage. Et il le montre particulièrement avec sa série de photos intitulée “Empowering Women”. Il présente des femmes qui ont fait bouger les lignes au Sénégal par leurs actions comme celle qui a permis l’accès à la propriété terrienne aux femmes désireuses de cultiver la terre. Ces femmes très souriantes, joyeuses et douces sont présentées sous un autre jour. En effet, Alun Be les magnifies dans une posture de lionnes, de battantes, prêtes à mener les combats qui transforment leurs sociétés non pas nécessairement par la force des mots mais principalement par la force des actions et actes qu’elles mettent en place. Ces portraits sont la matérialisation de leur engagement et une manière d’attirer notre attention sur leurs combats.
De la réflexion avec Jean Servais Somian

A travers sa série de meubles, Jean Servais Somian interpelle. Il va à l’essentiel en posant ces pièces pour ne pas dire en les imposant avec ce qu’elles rejettent de visible et d’invisible.
On voit ici un jeté de cauris comme métaphore de l’autopsie de notre société ou de nous même. On se demande si ce meuble nous invite à lire entre les ligne du mystique, du mystère et à pratiquer l’art divinatoire issu de nos cultures animistes. Une immersion dans l’univers de l’invisible matérialisée par ces billes de bois.
Là, on aperçoit un siège et son repose-pieds brulés. La couleur noir de ce meuble qui lutte entre le visible et l’invisible, car il suffirait d’un coup pour qu’il devienne poussière, fait écho à la notion de trou noir évoquée par Alun Be. Tout est l’univers et rien est l’univers.
Plus loin, nous admirons une œuvre intitulée “le bal des sièges”. Elle représente 4 sièges vides et fait référence à l’histoire récente politique ivoirienne. Ces 4 sièges sont une allusion aux 4 hommes politiques qui rythment la vie politique de la Côte d’Ivoire. Elle nous rappelle que ces personnages sont des alliés d’aujourd’hui et des ennemis de demain et vice-versa. C’est une œuvre qui nous invite à un regard sur nous même. C’est une forme d’introspection sur le positionnement des hommes dans la réflexion politique. Où est le peuple ? Dans le vide ? Comment et pourquoi, en un coup de vent, les bases sociales, mentales peuvent-elles s’envoler ?

Ainsi Jean Servais Somian souhaite que les africains se posent les bonnes questions en vue de construire une société africaine consciente. Une société qui se donne les moyens d’appréhender et transcender l’énergie qui se dégage du continent. Ainsi, le paradoxe viendra de l’ambiguïté à désigner les personnes conscientes et inconscientes d’où la nécessité de comprendre ce qu’il y a de subliminal, d’invisible dans le message visible.
Crédit Photo : Isabelle Zongo Crédit Photo : Isabelle Zongo Crédit Photo : Isabelle Zongo Crédit Photo : Isabelle Zongo Crédit Photo : Isabelle Zongo Crédit Photo : Isabelle Zongo Crédit Photo : Isabelle Zongo Crédit Photo : Isabelle Zongo Crédit Photo : Isabelle Zongo
En conclusion, les artistes racontent une histoire forte et puissante avec des faits bruts et sans ornement. Ainsi, on comprend comment le travail de la matière invisible, de la matière grise peut engendrer une prise de conscience individuelle mais surtout collective à l’échelle continentale mais également mondiale.
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